Des associations créent un groupement d’intérêt économique.

« On n’a rien contre le business, mais on défend une autre idée : celle d’une appropriation du réseau par le public. » Laurent Chemla

C’est un mot qui n’existe pas dans le dictionnaire, mais qui est malgré tout assez parlant : « Gitoyen ». Il s’agit en l’occurrence d’un GIE (groupement d’intérêt économique) créé le 9 février entre des associations toutes attachées à un idéal : l’Internet non marchand. Objectif : mettre en commun leurs moyens techniques et humains afin de garantir aux associations et aux particuliers une offre complète de services Internet - accès, hébergement de sites et dès que possible liaison ADSL (à haut débit) - à prix quasi coûtant. Ce qui éviterait de passer par les entreprises habituelles du marché, promptes à placer des bandeaux publicitaires sur les sites ou à facturer leurs services au prix fort. La formule d’un « GIE d’associations » est assez peu conventionnelle. C’est celle qu’ont retenue ses pères fondateurs qui sont aussi deux figures de l’Internet indépendant : Valentin Lacambre et Laurent Chemla. Deux obstinés : le premier a créé le service d’hébergement gratuit Altern.org, et le second l’Ecole de l’Internet, destiné à promouvoir l’usage du réseau.

Pour eux, la constitution d’un GIE « associatif » est une étape supplémentaire dans l’édification d’un Web indépendant des pressions économiques. « On n’a rien contre le business, mais on défend une autre idée : celle d’une appropriation du réseau par le public, explique Laurent Chemla. La liberté d’expression appartient à tous. Elle n’a rien à voir avec une logique marchande. » Certains naïfs s’étonneront sans doute que des associations se trouvent ainsi en première ligne pour défendre ce qui s’apparente de fait à un service public. « Les besoins sont importants », soulignent simplement les deux militants.

Noyau alternatif. Pour construire leur GIE, Lacambre et Chemla se sont associés avec de vieilles connaissances. On trouve ainsi à leurs côtés l’association French Data Network (FDN), un des tout premiers fournisseurs d’accès à l’Internet en France. Globenet, hébergeur gratuit d’une multitude d’associations et syndicats, dont la Confédération paysanne ou Aides. Netaktiv, portail alternatif. Placenet, association proposant des liaisons ADSL à prix réduit. Et, pour finir, Gandi, la Sarl que Lacambre et Chemla ont créée ensemble l’année dernière pour vendre des noms de domaine (les fameux www.truc.com), là encore quasiment à prix coûtant (200 000 noms attribués). Bref, entre la mutualisation des moyens techniques (modem, machines, bande passante) et partage des connaissances des uns et des autres, « Gitoyen » fait une démonstration d’économie solidaire. « Pourtant, on n’a rien d’original, soutient Chemla. L’Internet est foutu comme cela. Il est solidaire, basé sur l’entraide. Le GIE n’est que la concrétisation de cette manière de fonctionner. »

Fortification. C’est aussi un paratonnerre, une petite fortification destinée à protéger ses membres. Au coude à coude, les associations qui constituent Gitoyen seront a priori moins vulnérables. On se souvient que Valentin Lacambre avait dû renoncer l’été dernier à maintenir l’activité d’Altern.org, trop régulièrement appelé à se justifier devant les tribunaux. Et condamné. Sans trésorerie, seul, Lacambre s’est finalement retrouvé à genoux. La vocation affichée du GIE n’est cependant pas d’assurer les moyens de défense de ses membres. Mais il est sûrement plus dissuasif.

C’est qui déjà qui disait que parfois la réalité dépasse l’infection... ?

Par Marie-Joëlle Gros, Libération du 20 février 2001.